Kim
« Ensemble se dit de plusieurs manières. »
La première fois que je suis venue au Canada, c’était pour retrouver mes parents. Ils arrivaient d’Halifax. Ils ne parlaient ni anglais ni français. Ils avaient des amis à Montréal qui parlaient cantonais et venaient aussi du Laos. Ils les ont invités à venir les rejoindre. Mes parents ont accepté. Ils étaient heureux. Je les comprends : on se sent bien quand on peut être compris dans notre langue. Moi, j’étais seulement contente qu’ils soient encore vivants. Je suis venue les rejoindre. Quand je suis arrivée, je n’avais encore jamais vu de feuilles d’érable.
C’était l’automne à Montréal. J’amenais mes parents se promener au parc du Mont-Royal. Ma mère était timide. Elle et mon père s’assoyaient sur le banc. Je leur demandais de se rapprocher un peu pour prendre une photo. C’était nouveau pour eux.
L’automne est une saison très romantique et il y aussi une certaine tristesse. Il y a de l’amour et de la mélancolie. Chaque fois que le soleil se couche, le parc est baigné d’une lumière dorée. Je m’assois pour regarder le vent souffler sur les feuilles. Il les fait tomber très doucement au sol. Chaque regard me fait penser à mes parents et à ma ville natale.
J’aime voir les feuilles tomber doucement et lentement. Je me sens comme avant, quand j’étais une enfant et que j’allais encore à l’école. La vie va très vite. Mais quand je regarde les feuilles se détacher et tomber, le temps ralentit. La vie aussi. En cantonais, il existe deux manières de dire le mot « tomber ». On peut tomber rapidement comme une brique ou très lentement comme du coton. À l’automne, les feuilles tombent comme ça.
Au parc je regarde aussi les enfants courir et les gens parler en promenant leur chien. Chaque visage, chaque sourire est différent. Les gens sont peut-être fatigués et promènent leur chien pour prendre un peu de temps pour eux. J’aime les observer et imaginer leurs émotions. À l’automne, je suis très sensible. Je me sens comme dans un film. Parfois, j’aime regarder des comédies pour oublier la mélancolie. Au parc, il y a les deux.
Les personnes âgées marchent doucement main dans la main. Dans mon pays, ce n’est pas comme ça : les gens sont plus timides. Ici, les couples prennent un café ensemble, mangent des biscuits ensemble, donnent quelque chose à manger aux oiseaux. C’est comme le paradis. Ils regardent l’automne passer comme moi. Je les trouve courageux et indépendants. Je les regarde être ensemble et amoureux. J’aimerais que ce soit mes parents. Je les imagine ici. C’est la première image dans ma tête. C’est magnifique.
À présent, mes parents sont décédés. Je trouve que la mort est différente pour chaque culture. Pour les Asiatiques, elle est triste, pour d’autres, heureuse. Pour nous, c’est l’enfer, pour eux, c’est le paradis. Certaines choses sont les mêmes : par exemple, quand on prie pour les morts et qu’un papillon ou une mouche arrive, on ne peut pas la tuer parce qu’on dit que c’est la personne morte qui nous visite.
Chaque fois que j’ouvre l’album photos, c’est triste, mais ce sont les souvenirs du passé. Ils ne sont jamais perdus. Rien ne peut les acheter ou les faire disparaître. Quand je vois ces photos, je me souviens que ma mère sera toujours dans mon cœur.
J’ai commencé le cours de français à CLÉ parce qu’une amie qui travaillait à la manufacture avec moi m’en a parlé. Je voulais prendre un cours de français mais je ne savais pas où aller. J’ai pris le cours qu’offre le gouvernement, mais six mois ce n’est pas assez. Je connaissais un petit peu de français, mais je n’étais pas sûre. Je cherchais un cours où j’allais pouvoir faire confiance pour longtemps. L’animatrice m’aidait en me parlant un petit peu en anglais. Parfois, je ne savais pas quoi répondre ou comment expliquer. Alors je la regardais seulement.
Au Centre, on apprend le français lentement. Si on ne vient pas, quand on marche dans la rue, on ne sait pas quel mot on peut prendre, ni comment. Quand je suis arrivée au Canada, j’ai pleuré durant une semaine. Je ne comprenais rien. Maintenant, je vais mieux. Quand je ne comprends pas un signe dans le métro, je le note sur un papier. Je l’apporte au Centre. Ensemble on le lit et on trouve la signification. Je viens ici tout le temps pour bien comprendre les messages. Ici, on n’apprend pas que des mots. On partage aussi ce qui nous est arrivé. Les autres participantes apprennent ce qui nous est arrivé avant et on apprend ce qui leur est arrivé avant. Alors, on peut apprendre pourquoi elles pleurent ou elles rient aujourd’hui.